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LE JOURNAL | Annie Arroyo 2008/6/5

Le vieux renard

(...) D'un coup, je suis revenue plus de vingt ans en arrière, à ce jour où j'ai compris, le nez dans les gravillons, qu'il y avait réellement un problème au Pays Basque. Jusqu'alors, Euskal Herria se résumait pour moi à des clichés touristiques (...). A deux cents kilomètres de la frontière, le nationalisme basque semblait aussi lointain que les histoires de martiens, et l'ETA (terme qui englobait Iparretarrak), une nébuleuse menaçante dont on n'entendait parler que quand un drame se produisait.

Et puis un jour, lors d'une fête chez des amis à Terrasson, en Dordogne, le maître de maison m'a demandé comme un service de «m'occuper» d'un Basque qui venait d'atterrir dans le coin, et qu'on avait invité parce qu'il ne connaissait personne et qu'à cette époque on avait le sens de l'hospitalité. (...) Il avait le don de m'exaspérer quand il me disait d'un ton goguenard, avec son accent biscayen : «Yé souis oun vieux rrrenard!»· J'ai essayé de lui faire comprendre que la violence ne peut rien résoudre, il a tenté de m'expliquer que la violence répond à la violence (...). Même s'il restait persuadé que la négociation était l'issue qui s'imposerait tôt ou tard. (...)

Nous avions fini par conclure un armistice.

Nous sommes même devenus amis, de vrais amis, de ceux pour lesquels le temps et la distance ne comptent pas, parce qu'il n'y a pas de prescription pour l'amitié.

Vingt ans après, j'ai gardé mes convictions. «Nik ere bai» (moi aussi), me répondrait-il s'il m'entendait. Mais j'ai appris beaucoup de choses en vingt ans. Entre autres, que Euskal Herria n'est pas peuplé de martiens et que la lutte des Basques est une douloureuse réalité et non une saga virtuelle.

(...) Quelque temps plus tard, il disparaissait dans la nature pour échapper au GAL. Et puis avec le temps, j'avais un peu oublié l'incident. Mais durant toutes les années passées sans avoir de ses nouvelles, j'ai tremblé de voir apparaître son nom à chaque arrestation de militant basque.

Jusqu'à la tornade du 20 mai où je l'ai pris en pleine figure lors du journal télévisé.

Il n'a pas changé. Il a gardé le même accent où les «rr» roulent comme les galets dans la Nive. Et ses convictions n'ont pas changé non plus.

A ceux qui me disent qu'il est imprudent de se déclarer amie d'un «présumé chef de l'ETA», je répondrai que si l'amitié est un délit, je l'assume avec fierté.

A mon «vieux renard» et à tous ceux qui se retrouvent en cage pour avoir tant aimé leur patrie, je dis: «Agur, jaunak, agur t'erdi».

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