(...) Notre «humanitaire» récent trouve sa source en 1969, lors d'une opération au Biafra, hallucinante de culot, montée contre la neutralité jugée coupable de silence de la Croix-Rouge. De jeunes médecins dont Bernard Kouchner et de jeunes journalistes dont Jean-Claude Guillebaud surent alerter le monde à propos d'un drame ignoré puisque africain. Le genre a essaimé en moins de quarante ans. On ne compte plus aujourd'hui d'organismes «sans frontières» qui, dans une poignante candeur et de troubles ardeurs, désirent aider le prochain en sollicitant le proche. (...)

Au Soudan, pays voisin du Tchad, se déroule dans la région du Darfour l'une des plus abominables abjections. Massacres. Guerres civiles et religieuses. Parfait. Ce point de vue est exemplaire. Ici davantage qu'ailleurs on peut y percevoir la misère du monde et l'innocence à sauver d'urgence. Ce serait donc habitée des meilleures intentions que serait partie à corps perdu l'étrange Arche de Zoé, défiant tout conseil ministériel, ne prenant jamais garde aux avertissements.

Aujourd'hui, neuf de ses membres sont en prison (...). En fait, par toutes ces ambiguïtés, cette affaire pose le véritable problème de nos relations Nord-Sud. Il faudra bien un jour que nous choisissions entre coopération honnête, véritable et sincère d'Etat à Etat pour établir un équilibre que des siècles de colonisation ont perturbé. Ou persister, avec les meilleurs sentiments du monde, dans de curieuses opérations qui sont, au siècle actuel, ce qu'étaient autrefois les dîmes dominicales des dames patronnesses. Car, au-delà de cette rocambolesque expédition, revient comme une ombre coupable une autre question: que faisons-nous dans notre Occident nanti du désir véritable d'hommes et de femmes, de pères et de mères soucieux d'aider des enfants malheureux ? Et quel cas faisons-nous des familles là-bas ? Est-ce avec ce genre de raid, dit humanitaire, que nous comblerons, et les enfants noirs et les coeurs blancs ? (...)