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Matthieu Bonduelle et Patrick Henriot, 2011/6/15 (LE MONDE)

Aurore Martin sera-t-elle livrée pour ses idées?

Pour des faits que la loi française ne punit pas, une citoyenne française est sous le coup, depuis plus de six mois, d'une arrestation, d'une incarcération et d'une remise par la France aux autorités judiciaires d'un pays où elle encourt douze ans d'emprisonnement. (...)

Et il n'y a strictement rien d'autre dans le dossier: ni arme, ni contact avec ETA, ni appel à la violence, ni quoi que ce soit pouvant entrer dans la définition française -pourtant très large- du terrorisme. Uniquement ces réunions, cet article, cet engagement, au grand jour. Pourtant, la justice hexagonale a entériné la demande espagnole au titre des quatre réunions publiques auxquelles Aurore Martin a participé de l'autre côté des Pyrénées... Comment cette situation, aussi absurde qu'inique, a-t-elle été rendue possible?

Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur la cause indépendantiste, ni de comparer les justices espagnole et française, aucune n'ayant de leçons à donner à l'autre. Ce qui est ici en jeu, c'est l'abandon par un Etat de ses principes les plus essentiels -et accessoirement de ses citoyens- au nom des nécessités de la coopération avec d'autres Etats.

L'idée générale ayant présidé à la création, en 2002, du mandat d'arrêt européen (MAE) était de mieux lutter contre la criminalité transfrontalière en supprimant les procédures d'extradition entre Etats membres de l'Union européenne (UE), au profit d'un contrôle exclusivement juridictionnel de la validité des mandats. (...)

A priori, rien de scandaleux. On pouvait même y voir un moyen efficace de contrer le crime organisé, la corruption, le blanchiment... (...)

Très vite cependant, la manière dont les gouvernements de l'UE ont conçu le MAE s'est révélée totalement biaisée, dans la mesure où l'invention de ce nouvel outil coercitif ne s'est pas accompagnée de ce qui en était le corollaire indispensable: la constitution d'un véritable espace judiciaire européen, impliquant un corpus juris d'incriminations communes, un parquet européen, des garanties élevées et partagées de protection des droits et libertés. Pire, une longue liste d'infractions a été d'emblée exclue du principe de «la double incrimination des faits reprochés», selon lequel les faits visés dans le mandat doivent être sanctionnés tant dans le pays requis que dans le pays d'émission.

Comme par hasard, il en va notamment ainsi du terrorisme, qualification pourtant éminemment politique et variable. Cette dérogation, qui figure à l'article 695-23 du Code de procédure pénale, recèle un grave abandon de souveraineté et transforme le juge en alibi: dès lors que l'Etat d'émission du MAE a qualifié tel ou tel acte (n'importe lequel!) de «terroriste», les magistrats de l'Etat d'exécution ne peuvent pas vérifier s'il s'agit bien de terrorisme au regard de leur propre loi. (...)

Aurore Martin devrait jouir partout, en France ou ailleurs, de la liberté d'opinion et d'expression, qui constitue l'un des biens les plus précieux des démocraties. Si, en l'occurrence, l'Etat espagnol a choisi d'en restreindre l'usage bien davantage que l'Etat français, il n'en demeure pas moins qu'Aurore Martin n'a pas enfreint la loi française: elle devrait donc pouvoir vivre et s'exprimer librement en France.

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