LE MONDE | Editorial 2007/4/26. Etat français.
L'honneur polonais
Dans une sorte de «J'accuse» à la Zola, Bronislaw Geremek, député polonais au Parlement européen, a répliqué au gouvernement de son pays: «Je refuse!». Ce que refuse cet éminent spécialiste d'histoire médiévale, ancien conseiller de Lech Walesa au syn- dicat Solidarité, qui, dans les années 1980, déclencha la lutte contre le pouvoir communiste, c'est une «exigence arbitraire» et une «humiliation». Le parti des frères Kaczynski (...) a voté une loi dite de «lustration», obligeant les Polonais placés à un poste de responsabilité dans la politique, les médias ou l'enseignement à déclarer s'ils avaient ou non, jadis, collaboré avec la police politique communiste.
(...) C'est sur cette transgression d'une frontière morale que M. Geremek a voulu attirer l'attention. Il le fait au nom de tous les Polonais qui n'ont pas eu la possibilité ou le courage de s'opposer à la dérive réactionnaire qui risque de frapper l'ensemble de la société. Il le fait aussi au nom d'une certaine conception de la résistance à l'arbitraire, même quand celui-ci émane d'un gouvernement élu démocratiquement. Cet intellectuel de 75 ans qui a su résister au communisme à une époque où la désobéissance civile pouvait mettre sa vie en jeu apprend aux jeunes générations que ce qui est légal n'est pas toujours légitime.